Les lieux pouvaient changés, ainsi que les noms, les visages, les vices. Pour autant, ils se devaient d’exister, d’une manière ou d’une autre. Le bar avait fermé bien des années auparavant, sous les flammes d’un mauvais parieur, qui avait mis le feu à l’établissement en même temps que ses dettes. Mais nous n’y étions pas encore, dans un passé encore plus lointain, une vingtaines d’années auparavant. Il y avait quelques visages mal famés, des échanges qui ne prenaient pas la peine de se faire sous les tables, de l’alcool de mauvaise qualité, quelques catins édentées à l’avant de la salle. Tout ce qu’Arcan avait à offrir dans sa splendeur, qui faisait que Köl appréciait l’endroit, bien entendu. C’était le péché qui attirait les jeunes changeformes en dehors de leur clan et le lieu était parfait pour chasser l’ennui des soirées. Ce dont l’apprentie avait le plus en horreur.
La scène était familière, occurrence ayant déjà eu lieu à maintes reprises. Köl était connue pour être une joueuse, elle aimait les paris, le frisson de la chance, les défis les plus intrépides et improbables. Köl, surtout, était connue pour être une bonne joueuse, qui plumait les sceptiques et repartait toujours avec une bourse pleine. Elle était juste (super)naturellement douée et qui était-elle pour refuser un don de la Magie Mère ? La scène était donc familière, la table cerclée de ces trois figures qui dévisageaient leurs cartes de cette partie de poker et les mises de pièces de cuivre et d’argent. Le hibou se sentait d’humeur bon seigneur, et elle fit joua un peu plus. Même si à l’intérieur, il y avait ce fil qui se tirait à l’arrière de son crâne, sachant parfaitement qu’elle allait perdre. Elle n’avait aucune idée de comment, mais il ne fallait pas avoir de talent extrasensoriel pour savoir que son malheureux sept de carreau et dame de cœur n’apporterait rien.
Les figures furent posées et la mise raflée par Ikshän. Köl échappa un rire, cachant à peine son amusement de ces quelques pièces d’argents qu’elle avait rendu à son propriétaire initial. Son coude se posa sur la table, alors qu’Ebraheim était occupé à mélanger les cartes. « Je veux dire, vous allez devoir en détrousser plus qu’un, si vous continuez à perdre autant d’argent avec moi. » En guise de provocation, elle fit tinter les effigies de la reine en argent sur le bois mal lavé de la taverne. « Il doit bien y avoir une manière de pimenter les choses… » Elle aurait proposé une partie de strip-poker, mais elle réservait ce jeu pour Raghan quand ils étaient trop penchés sur la bouteille. Cela faisait bien des années qu’elle ne s’était pas donnée à ce type de pari. Elle était heureuse avec Icare et leurs deux oisillons, car c’était un bonheur éphémère, les os le lui avaient dit. « Des propositions ? » demanda-t-elle à sa paire de voleurs préférés.