mascarade (saeunn + valhen)

Appuyé contre un mur à l’écart des autres invités, Valhen regardait vaguement ses homologues aller et venir dans la grande salle qui accueillait l’événement, les dents serrées, tentant vainement d’empêcher son regard de papillonner vers la sortie. Ce n’était pas le genre de soirées qui plaisait à l’Elfe, lui qui avait été habitué dès le plus jeune âge à les fuir comme la peste et en subir les conséquences plus tard, mais pour une fois, il avait voulu bien faire, respecter les demandes de sa famille et représenter les O’Dregi parmi toute cette foule ; néanmoins, au plus les minutes défilaient, au plus il sentait qu’il avait eu tort de mettre les pieds dans cette demeure. A nouveau, il lança un regard presque désespéré vers une des nombreuses sorties, avec l’espoir futile de pouvoir, plus tard dans la soirée, s’échapper sans attirer l’attention et laisser derrière lui tous ses simulacres et joyeusetés trompeuses, mais il se doutait bien que ses nombreux frères avaient dû trouver un moyen pour le surveiller et vérifier qu’il resterait bien jusqu’à la fin.

Il savait pertinemment que son air nonchalant et renfermé freinait les autres convives qui lui lançaient de temps à autre des regards curieux mais pas assez braves pour l’approcher, pourtant, il fut surpris de voir une tête blonde apparaître devant lui les mains bien remplies. D’un geste automatique, il attrapa la flûte qu’on lui tendait alors qu’il essayait de remettre un nom sur ce visage, qu’il n’était pas vraiment certain de connaître. « Je ne pense pas que ‘sacré’ soit le terme le plus adapté », qu’il répondit quand celle qui lui disait définitivement quelque chose eut terminé de parler. Le mur sembla reculer de plusieurs longs centimètres lorsqu’il se força à se redresser dans une posture plus avenante, imaginant bien les réactions de sa famille si elle venait à le voir aussi avachi en présence d’une dame. Ses dents se crispèrent légèrement autour du verre lorsqu’il se rendit compte du ton qu’il avait employé, presque cynique et irrémédiablement ombrageux, aussi lança-t-il un sourire en coin à la belle à ses côtés en levant légèrement sa coupe dans sa direction dans un essai de se rattraper. « L’ennui a disparu au moment même où vous êtes apparue. » Il eut un dernier regard empli de regrets vers la porte non loin avant de tourner complètement son corps dans la direction opposée, se concentrant comme un convive l’aurait fait sur sa conversation naissante, même s’il sentait que les banalités risquaient de fleurir désagréablement. « Non pas que ma présence ici eut été un fardeau, mais disons que ce n’est pas vraiment le genre d’endroit où j’aime me trouver le soir. » Il eut un haussement de sourcils envers la belle, l’invitant d’un air évasivement malicieux à entrer dans son jeu.

Ce fut avec une agréable surprise que le sourire qui s’était plaqué sur son visage commença lentement à se montrer plus sincère à mesure que la belle, dont il  ne reconnaissait toujours pas le visage à sa plus grande honte, prit la parole à sa suite. Probablement parce qu’elle était présente à une de ces fêtes pour la première fois, peut-être parce qu’elle n’avait pas toute une famille derrière elle pour la forcer à se montrer sous son plus beau jour pour tenter de se chercher un parti — et arrêter ainsi d’entendre ses frères se moquer de son absence certaine de partenaire —, Valhen eut le sentiment que les mondanités allaient prendre une tournure bien différente que ce à quoi il s’était préparé. Il ignora pourtant la première question de la belle, qui lui rappelait avec une douloureuse vivacité ce qu’il aurait pu faire toute la nuit durant au lieu de boire quelques bulles qui n’arriveraient jamais à le faire tomber à la renverse. Il s’apprêtait néanmoins à répondre, avec un temps de retard, à ses paroles, quand des coups secs attirèrent l’attention des convives, Val y compris.

Peut-être en raison d’une fatigue sous-jacente à laquelle il ne faisait plus attention, ou peut-être en raison des événements qui, plus tôt dans l’année, avaient provoqué un mouvement de panique dans les rues de la capitale, mais sous la surprise du bruit puis du silence qui suivit, l’Elfe crut pendant une demi-seconde que les lieux étaient victimes d’une attaque, et sa main se crispa instantanément autour de son verre alors qu’il réfléchissait déjà à une tactique pour protéger le plus de monde sans arme, mais sa tension redescendit d’un cran lorsque la voix du domestique prit le relai pour annoncer les véritables festivités. Un léger soupir s’échappa de ses narines alors qu’il tentait de calmer l’afflux d’adrénaline qui l’avait préparé à se battre, puis il se tourna vers sa camarade, les yeux joueurs. Depuis tout petit, il avait appris à cacher ses véritables émotions, aussi n’eut-il aucune crainte à l’idée que son acolyte ait pu voir quoi que ce soit. « A la première occasion venue, hein ? » L’Elfe fit un signe de tête entendu vers les convives qui délaissaient la pièce pour la mise aux enchères, puis haussa les sourcils. Ce fut juste un souffle, un murmure à peine discernable par-dessus la musique. « Je pense que c’est notre unique chance. »

Sans attendre sa réponse, il l’attrapa délicatement par le poignet pour l’emmener sur une terrasse, heureusement vide de tout convive, sans que les curieux ne puissent les voir. L’air délicatement frais de l’extérieur le fit un instant frissonner, alors qu’il marchait à reculons vers la balustrade, le regard posé sur la blonde à ses côtés. Lorsque le fer glacé entra en contact avec son corps, la froideur du métal perçant ses couches de vêtements, il se tourna vers la vue qui s’offrait à eux, presque habitué au spectacle qui s’étendait sous ses yeux. Son frère, jardinier, avait un talent qui ne cessait de croître et même les plantes les plus exotiques au monde ne parvenaient plus à émerveiller un O’Dregi rompu aux œuvres de Letho. « Ce n’est pas notre rang qui nous définit », se contenta-t-il de murmurer vaguement en réponse aux premières paroles de la belle. Il n’était pas certain qu’elle ait pu l’entendre, mais décidé à ignorer cette conversation qui promettait d’être ennuyante, il se détourna des jardins pour se pencher vers la belle. « Où pensez-vous que je veuille aller, plutôt qu’ici ? » Curieux de savoir si les rumeurs à son sujet étaient encore un sujet de prédilection ou si la plupart avaient oublié nombre de ses frasques.